04 janvier 2010
Carnet des nuits scintillantes et glaciales
Cela faisait un bout de temps que je n’avais pas vu le renard. Ces dernières nuits scintillantes et glaciales, je l’ai d’abord entendu, malgré le double vitrage, non pas glapir mais pousser de longues plaintes rauques. Plusieurs fois, derrière la vitre où se reflétait le feu, je l’ai regardé trotter en direction du village. Il avait l’air très agité, peut-être affamé, ce qui expliquerait son passage si près des maisons. L’avant-dernière nuit, alors que je m’étais enveloppé dans mon manteau pour fumer un cigare sur le seuil, le bruit sec de ses pattes sur la neige gelée m’a alerté et je n’ai eu qu’à bouger les yeux pour le voir apparaître à dix mètres à peine, dans la clarté du premier lampadaire de l’éclairage public. La direction de l’air ne lui a pas permis de flairer ma présence et, grâce à ma considérable aptitude à l’immobilité, j’ai pu constater sans l’inquiéter que ce renard n’était pas un freluquet.
Du coup, je me suis remémoré les premières mesures de Renard de Stravinsky, et cette musique m’a accompagné jusqu’au bord du sommeil.
Le lendemain matin, les deux chats sont revenus mendier leur pitance. Le froid ne les ménage pas et ils engloutissent leur pâtée, l’un en me faisant des fêtes (le gros mâle dominant déjà d’un certain âge) et l’autre, la minette au coup de patte facile, mais qui oublie toute prudence lorsque je remplis la gamelle. J’ai décidé de l’appeler Diane car elle est très gracieuse et chasse avec une efficacité redoutable les mulots, campagnols et souris qu’elle avale en commençant par la tête. Après, on voit la queue du malheureux rongeur disparaître dans la gueule et la petite diane chasseresse repartir momentanément repue vers d’autres aventures.
Je me demande si les chats et le renard se surprennent en rôdant autour de la maison mais j’ai plutôt l’impression qu’entre espèces incapables de s’entendre, ils ont la sagesse de s’éviter. Après tout, leur monde est assez vaste pour cela et chacun y trouve son compte...
Entre Noël et le jour de l’an, la promenade prévue avec des amis n’a pas été possible. Je me suis pour ma part contenté de l’indispensable petit tour quotidien dans les futaies, sentiers et petits crêts au-dessus de la maison.
Je vais tenter de placer le sapin Frazer en pot qui a cette année supporté les guirlandes et les boules multicolores dans un endroit de la propriété propice à sa survie. Cette espèce étant canadienne, le climat jurassien ne devrait pas trop lui déplaire.
Ces fêtes endeuillées sont maintenant terminées. Malgré la disparition d’un être cher, on a célébré Noël et souhaité la bonne année, la vie est ainsi faite, elle continue car elle ne sait pas faire autrement.
Photos : crépuscule à la Vierge et fin d'après-midi sur les crêtes au-dessus de la maison.
02:52 Publié dans carnet | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : nuit, hiver, neige, glace, renard, chat, stravinsky, frazer, sapin, blog littéraire de christian cottet-emard
18 novembre 2009
Tu écris toujours ? (54)
Toujours illustré par le dessinateur Miege, le 54ème épisode de mon feuilleton Tu écris toujours ? (Conseils aux écrivains qui veulent soigner leur image) vient de paraître dans le n°20 (novembre/décembre 2009) du Magazine des Livres. Le Magazine des Livres est disponible en kiosques.
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16 novembre 2009
Tu écris toujours ? (53)
Conseils aux écrivains qui doivent répondre à des questions embarrassantes.
Cet épisode de TU ÉCRIS TOUJOURS ? (FEUILLETON D’UN ÉCRIVAIN DE CAMPAGNE) illustré par le dessinateur Miege est paru dans Le Magazine des Livres n°19, septembre/octobre 2009.
Je fais souvent des rêves prémonitoires désagréables. Par exemple, je rêve que je me lève tôt le matin, et le mauvais rêve se réalise peu après. Mon voisin écrivain m’a confié qu’il faisait le même rêve et qu’il avait commis l’erreur d’en parler dans une de ces interviews paralittéraires dont l’objectif principal est de révéler aux lecteurs si vous êtes plutôt chat que chien, cognac ou bourbon, cigarette ou cigare, choucroute ou cassoulet, la plus littéraire des questions étant : « préférez-vous écrire au stylo qui bave, à la portative qui coince ou à l’ordinateur qui rame ? » Il faut se méfier de ces questions en apparence futiles qui ont le redoutable pouvoir de vous transformer, vous l’auteur, en un personnage de fiction qui finira par prendre votre place dans l’esprit de vos lecteurs. En indiquant qu’il craignait de se lever tôt, mon voisin écrivain se trouva propulsé auprès de ses nombreux lecteurs dans la catégorie des auteurs paresseux, ce qui lui fut longtemps préjudiciable dans ses rapports avec son éditeur en attente d’une suite qui ne vint jamais à son unique et sirupeux best-seller. En ce qui me concerne, j’ai bien retenu la leçon et je n’avouerai jamais, quand bien même accéderais-je à la célébrité, que mon plat préféré est le canard à l’orange. Vous me direz que vous êtes maintenant au courant mais cela n’a pas d’importance puisque, à l’inverse de mon voisin, je ne suis pas célèbre.
Revenons à nos canards, je veux dire à nos moutons. Après avoir pris conscience du danger auquel peuvent vous exposer les réponses sincères à des questions idiotes ou insignifiantes, étudions maintenant les questions embarrassantes, celles qui portent par exemple sur les tirages de vos livres si votre nom ne s’inscrit pas encore en tête des listes des meilleures ventes. Lorsqu’on parle de questions qui ne doivent jamais recevoir de réponses, le mieux est de se référer aux techniques de non-communication employées par les personnalités politiques. Rien n’autorise un journaliste à savoir que vous avez publié votre dernier livre à cinquante exemplaires chez un éditeur adepte de l’impression à la demande. Vous répondrez donc ainsi à toute question concernant le tirage : « je vous remercie de me poser cette question importante à laquelle je répondrai avec grand plaisir lorsque j’aurai terminé de répondre à la précédente à propos de laquelle j’avais encore une précision à donner. » Cette formule magique vous a permis de créer une première diversion en flattant l’ego souvent surdimensionné du journaliste et une deuxième en sollicitant sa mémoire logiquement plus orientée sur les questions à venir que sur celles déjà posées. Il jettera l’éponge et passera à la question suivante. Vous êtes tombé sur un teigneux agrippé à sa question comme l’oncle Picsou à ses dollars ? Pas de panique, voici la parade : « j’ai bien noté votre question mais je voudrais en préambule, si vous le permettez, répondre par avance à une autre question que vous ne manquerez pas de me poser bientôt et dont la réponse contribuera à donner par anticipation à la précédente toutes les précisions qu’elle mérite. » Le journaleux résiste encore ? Infligez-lui votre botte : « Pouvez-vous me répéter la question ? »
Qu’on soit écrivain ou non, savoir se débarrasser des questions embarrassantes est un art de vivre qui permet aussi de remettre à leur place tous les impolis, notamment les journalistes, qui se permettent de les poser. Est-ce que je demande à madame Tumbelweed, la gouvernante qui travaille chez mon voisin écrivain, si elle utilise un rasoir électrique ou un jetable pour éliminer ses poils au menton ? Non, je feins de ne pas les remarquer. Et je ne la questionne pas davantage sur ses relations avec Sir Alfred, le chat de ce même voisin, qui ne sont pas au beau fixe. Madame Tumbelweed m’est reconnaissante de cette discrétion. Un jour, elle a sonné à ma porte pour me demander si je n’avais pas vu Sir Alfred qui disparaissait chaque fois qu’elle devait lui administrer son vermifuge. Je me préparais à dîner seul car mon épouse s’était absenté. Lorsque la brave femme constata que j’allais me contenter du même menu que Sir Alfred, des sardines en huile de la fameuse marque Ohé, matelot, elle me pria de patienter avant de commencer mon repas, se retira et revint quelques minutes après chargée d’un plateau d’argent sur lequel était disposé un plat sous cloche. Vous me croirez si vous voulez, c’était du canard à l’orange qui lui restait de midi. Incroyable non ? Ce que j’admire chez les gens de maison de cette classe, c’est leur don de deviner nos rêves les plus profonds, les plus secrets, les plus complexes, une préférence personnelle pour le canard à l’orange par exemple, sans recourir à la moindre question embarrassante. Qu’ils en prennent de la graine tous ces journalistes !